La performance, ennemie de l’apprentissage ? Épisode 2/2 : les buts de progrès

La performance, ennemie de l'apprentissage ? article du blog Didask eLearning

Dans mon précédent article, je vous ai peut être rappelé des mauvais souvenirs de formations et sapé le moral en vous parlant des buts de performance dans l’apprentissage. Rassurez-vous, aujourd’hui, nous allons voir que ce n’est pas une fatalité et qu’il existe un autre type de buts TRÈS pertinent pour la formation : les buts de progrès. Que sont-ils, et surtout comment inciter vos apprenant·e·s à les poursuivre, notamment en eLearning ? Je vous dis tout et vous partage quelques éléments de nos travaux de R&D à ce propos ;)

Dans un monde idéal…

… l’objectif principal des apprenant·e·s est de se sentir progresser. Ils·elles s’impliquent entièrement dans la formation, se posent activement des questions sur les contenus que vous leur présentez, travaillent régulièrement, s’engagent volontiers dans les exercices d’application. Quand l’erreur arrive, elle n’est pas vue comme un échec. D’ailleurs elle a très peu d’impact émotionnel sur les apprenant·e·s : c’est une simple information qui indique comment progresser, le signe d’un apprentissage en cours. La réussite des autres n’est pas non plus perçue comme une menace, au contraire : c’est une source d’inspiration et les apprenant·e·s collaborent de bon coeur les un·e·s avec les autres pour réussir. Les feedbacks sont écoutés.

Utopique ? Eh bien non, tout ces comportements peuvent s’observer lorsque les apprenant·e·s poursuivent ce que les chercheurs appellent des “buts de progrès”. Lorsque les apprenant·e·s poursuivent de tels buts, ils·elles sont bien plus résilient·e·s quand l’erreur survient et profitent mieux des formations contenant une grande proportion d’exercices (… qui sont aussi les plus efficaces !). Pourtant, quiconque a déjà formé des apprenant·e·s peut témoigner : ce cas de figure reste rare ! Pourquoi ? La faute à notre éducation !

L’origine des buts de performance et de progrès

Reprenons l’exemple de Karen et Thomas qui nous a accompagné dans le premier article. Ces apprenant·e·s ne sont pas des ardoise vierges : avant d’arriver en formation, ils·elles ont tous les deux passé des milliers d’heures à l’école, dans leurs études et au travail. Tout au long, ils·elles ont reçu des “récompenses” et des “punitions” de leur entourage… et ils·elles ont aussi observé les autres en obtenir.

Commençons par Karen, notre experte super performante au goût prononcé pour la compétition. Elle a pu remarquer qu’elle obtenait de très grosses récompenses lorsqu’elle était dans les meilleurs : elle a été félicitée par l’enseignant·e, ses parents ou ses pair·e·s. Grâce à ses excellentes performances scolaires, elle a obtenu des places dans de bonnes formations puis des postes valorisants. Petit à petit, Karen s’est forgé l’idée que ce qui était important lorsque l’on apprenait, c’était d’être la meilleure. Progresser, c’est bien aussi, mais bien moins rémunérateur. Après tout, lorsqu’elle est devenue première de sa classe en droit, passant de 15 à 17, c’était presque la standing ovation. En comparaison, les félicitations qu’elle a obtenue lorsqu’il est passé de 6/20 à 10/20 en math étaient bien plus tièdes. (Sur un sujet connexe, vous pouvez également lire notre article “La pédagogie pour bons élèves, trop présente dans la formation digitale !”)

Prenons maintenant l’exemple de Thomas. Thomas, lui, a plutôt reçu des punitions à l’école. Petit, il n’a jamais été dans les meilleurs de sa classe et malgré ses efforts, il peinait à atteindre la moyenne. Or la recherche montre que beaucoup d’enseignant·e·s traitent différemment (et ce, souvent sans qu’ils·elles ne s’en rendent compte) les élèves moins à l’aise : ils·elles sont interrogé·e·s moins souvent, moins longtemps, sont plus rapidement corrigé·e·s, placé·e·s dans la classe plus loin du bureau des enseignant·e·s. Et ça, Thomas l’a bien senti. D’ailleurs, qu’il ait progressé ou non, les retours de ses professeur·e·s étaient à peu près les mêmes : “insuffisant”. A force que son progrès ne soit pas ou peu récompensé, Thomas s’est dit “la formation, ce n’est pas pour moi”. Quand il y va, son objectif est d’être discret et de ne surtout pas être le plus mauvais.

Notre système scolaire est organisé de telle manière que par ce jeu de récompenses et punitions, les apprenant·e·s en formation apprennent petit à petit à poursuivre des buts de performance. Nous avons collectivement une faible résilience à l’erreur… alors qu’elle fait partie intégrante de l’apprentissage. Les études montrent que cette disposition d’esprit s’acquière assez rapidement : les chercheurs observent que la majorité des élèves poursuivent des buts de performance… dès le CP.

Modifier les buts : c’est possible !

Sommes-nous condamnés à faire avec la faible résilience à l’erreur des apprenant·e·s (et la nôtre) ? Heureusement non ! Peut être l’avez vous d’ailleurs remarqué : dans nos loisirs et mêmes nos jeux, surtout ceux sans compétition, nous poursuivons plus volontiers des buts de progrès. Au travail ou en formation, l’immense majorité d’entre nous poursuit des buts de performance, mais si le formateur vous met à l’aise, dédramatise l’erreur… on peut poursuivre des buts de progrès.

Comment faire concrètement ? Bien sûr, en tant que formateur·rice, vous ne pourrez pas changer la culture dans laquelle nous baignons collectivement. En revanche, par le biais d’interactions ciblées avec vos apprenant·e·s, vous pourrez modifier le rapport qu’ils·elles ont à leur apprentissage pendant leur formation avec vous. Les feedbacks que vous faites aux apprenant·e·s sont un levier puissant. Dire à un·e apprenant·e qui réussit “wahou, tu es vraiment fort·e“ associe sa valeur en tant que personne à ses performances : cela l’incitera à poursuivre des buts de performance. À l’inverse, lui dire “ce travail est excellent, pour telle et telle raison” l’incitera à poursuivre des buts de progrès. La manière d’introduire la formation est aussi un moment clef : c’est d’ailleurs de ça dont se servent les chercheurs pour modifier les buts poursuivis par les apprenant·e·s et étudiés leur impact. Dire en préambule “L’objectif de cette activité est avant tout que tu comprennes ce que tu fais, même si tu fais des erreurs” favorise les buts de progrès, alors que “L’important ici est que l’on puisse voir ce que vous avez appris. Vous avez le droit à peu d’essais donc donnez le meilleur de vous-même” favorise les buts de performances. Organiser une compétition entre les apprenant·e·s pour les motiver les incite aussi à poursuivre des buts de performance, même si elle est présentée de manière ludique : vous les inciterez à se comparer les uns les autres et à éviter les erreurs à tout prix… alors que l’erreur est incontournable !

Didask La performance est-elle l’ennemie de l’apprentissage ? les buts de progrès

Et en e-learning ?

Tous les résultats mentionnés dans cet article et le précédent ont été observés en formation présentielle. Mais se transposent-ils en e-learning ? Dans cet environnement, les apprenant·e·s sont seul·e·s face à leur ordinateur et ont très peu d’interactions directes avec le ou la formateur·rice : ces deux facteurs peuvent avoir un impact différents sur les buts poursuivis par les apprenant·e·s.

À notre connaissance, aucune étude n’a été menée dessus. Nos premiers travaux de R&D, qui intégraient les phrases utilisées en présentiel pour inciter les apprenant·e·s à poursuivre des buts de progrès ont été un échec retentissant : si les formateurs·rices les trouvaient sympathiques, la majorité des apprenant·e·s les trouvaient infantilisantes.

Cependant, ces phrases ne suffisent toujours pas. Lors d’une rencontre avec la chercheuse Céline Darnon, qui a mené plusieurs études sur l’influence des buts de performance, celle-ci nous a suggéré l’idée suivante : au lieu de dire aux apprenant·e·s ce qui est important, il vaut mieux les faire réfléchir directement sur le sujet par le biais d’un exercice. Par exemple, en commençant la formation par un exercice où l’apprenant·e doit écrire pourquoi l’erreur permet de mieux apprendre. Mme Darnon faisait l’hypothèse qu’un tel exercice aurait plus de poids, les apprenant·e·s devant activement réfléchir à ce sujet. Nous expérimentons aujourd’hui l’effet d’un tel exercice au sein des formations développées sur la solution Didask. Vont-ils avoir l’effet escompté ? Affaire à suivre ! 🙂

Il nous reste encore beaucoup à apprendre à ce sujet et c’est pourquoi je vous invite, vous aussi, à expérimenter avec vos apprenant·e·s : que se passe-t-il quand vous leur proposez un exercice similaire, quand vous valorisez le progrès, quand vous leur permettez de faire des erreurs ? On ne changera sans doute pas le monde, mais petit à petit, nous emmènerons peut-être les apprenant·e·s vers un rapport à l’apprentissage plus apaisé.

Références

Un livre à lire absolument :

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À propos de l'auteur

Svetlana Meyer

Svetlana Meyer est la reponsable scientifique de Didask. Docteure en sciences cognitives, son rôle est d’intégrer les derniers résultats de la recherche sur l’apprentissage à notre produit pour améliorer l’efficacité des contenus créés sur Didask.

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