Pourquoi les EdTech doivent distinguer engagement et apprentissage

EdTech, technologies de l'éducation et apprentissage : illustration d'un homme s'entraînant dans un simulateur de pilotage d'avion
Les EdTech - Technologies de l'Éducation - doivent mettre les résultats d'apprentissage au cœur de leurs innovations en prenants en compte les méthodes d'apprentissages, le spacing et testing effect, et les illusions de l'apprentissage

Depuis plusieurs années, la formation se transforme et devient toujours plus motivante, toujours plus engageante. Chatbot, réalité virtuelle et autre rivalisent pour attirer l'attention de l'apprenant et l'immerger dans son apprentissage. Si ces technologies rendent l'expérience utilisateur infiniment plus plaisante, elles ne suffisent pas pour permettre un apprentissage durable.

De l'accès aux connaissances à la maîtrise de compétences

Notre système de formation sait depuis longtemps faire acquérir des savoirs et des compétences considérables à une élite. Nous savons également donner accès à de l’enseignement et de la formation au plus grand nombre. Notre société l’a montré depuis 50 ans par la massification de l’enseignement secondaire, la démocratisation progressive de l’enseignement supérieur et plus récemment le développement des MOOCs.

Ce que nous montrent des comparaisons internationales comme les enquêtes PISA ou PIAAC, mais aussi simplement la persistance du chômage, c’est que nous avons beaucoup plus de mal à faire en sorte que chacun parvienne effectivement à acquérir les savoirs et compétences dont il a besoin pour son émancipation, son autonomie et son intégration dans la société. L’accélération permanente des besoins en nouvelles compétences nous amène à la même conclusion : l’efficacité de notre système de formation tout au long de la vie est l’un des grands défis que notre société doit désormais relever.

Mettre les innovations au service de l’apprentissage réel

Pour relever ce défi, nous avons besoin d’innovations pédagogiques ayant pour objectif premier d’améliorer véritablement et durablement les résultats d’apprentissage obtenus. C’est ce qu’attend aujourd’hui la majeure partie des enseignants et des formateurs, dont la prétendue résistance aux innovations n’est souvent que le reflet de leurs doutes légitimes sur leur impact pédagogique. Les technologies numériques en font particulièrement l’objet, pour des raisons compréhensibles. Leur déploiement suppose généralement des investissements initiaux conséquents en temps et en argent (en développements techniques ou en conception de contenus par exemple) pour des résultats encore très discutables, que ce soit dans le milieu éducatif[1] ou dans la formation professionnelle. On ne compte plus le nombre d’outils d’e-learning déployés dans les organisations publiques et privés dont l’efficacité n’est pas mesurable et qui sont largement inutilisés.

Des technologies actuellement concentrées sur l’engagement

Le renouveau récent du secteur « EdTech », porté par l’avènement des MOOCs, mais aussi des nouvelles possibilités offertes par les technologies du web et de l’intelligence artificielle, devrait s’attacher aujourd’hui à répondre à ces doutes. Malheureusement, nombre d’acteurs du numérique éducatif et de la formation digitale, malgré l'énergie indéniable qu'ils déploient, ne mettent pas les résultats d’apprentissage au centre de leurs innovations technologiques. En particulier, une majeure partie des solutions EdTech s’attache plutôt à améliorer la satisfaction de la part des apprenants, en proposant des expériences utilisateurs modernes. L’objectif : faire en sorte que les apprenants s’impliquent réellement dans leur formation et utilisent les contenus à leur disposition. « L’engagement » des utilisateurs est ainsi devenu l’alpha et l’oméga des technologies numériques pour l’éducation et la formation.

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Mieux différencier engagement et apprentissage

Sauf qu’être engagé ne signifie pas apprendre. L'engagement peut être une métrique pertinente pour une application de divertissement ou un réseau social d'entreprise, mais elle est insuffisante pour les Edtech qui ambitionnent de former.  On ne peut nier que l’engagement est une condition indispensable de l’apprentissage : je n’apprendrai rien si mon attention n’a pas été suscitée, si je ne suis pas prêt à engager le processus d’apprentissage. Mais cette question de l’engagement – suis-je disposé mentalement à apprendre ? – doit être distinguée de la question de l’acquisition : comment dois-je apprendre ? Sans stratégie d’apprentissage pertinente, vous pouvez être très engagés durant un cours ou une formation sans être capable ultérieurement de mobiliser les compétences et connaissances transmises.

Les apprenants ignorent les stratégies d'apprentissage réellement efficaces 

Mais les apprenants sont-ils capables d’identifier les bonnes stratégies d’apprentissage ? De nombreuses expériences menées par la recherche en psychologie cognitive montrent que nous évaluons assez mal les stratégies d’apprentissage qui nous permettent d’apprendre efficacement. Nous avons même une tendance particulière à préférer les méthodes qui nous trompent sur notre maîtrise réelle des sujets[2].

Prenons des exemples que nous connaissons tous :

Ces erreurs de jugement sur notre maîtrise réelle de nos apprentissages, dites erreurs de « métacognition », sont fréquentes (voir notre article ici pour les éviter).  Il est donc nécessaire de questionner la pertinence des mesures d’engagement et de satisfaction des apprenants comme seules boussoles pour guider les pratiques pédagogiques. L’engagement et l’apprentissage sont complémentaires mais bien distincts : c’est la combinaison de l’engagement et de stratégies d’apprentissage efficaces qui permet l’acquisition réelle et durable d’une compétence ou d’un savoir.

Recentrer les technologies éducatives (EdTech) sur les résultats d’apprentissage

Pour proposer de meilleurs outil de formation, nous devons piloter nos innovations pédagogiques et technologiques en fonction de leur impact sur l’apprentissage lui-même. Imaginerait-on évaluer les compétences d’un chirurgien à l’aune du nombre de séminaires auquel il a assisté plutôt que par la progression de sa performance dans le bloc opératoire ?

L’engagement et la satisfaction des apprenants sont évidemment importants à mesurer, car ils sont un moyen d’atteindre de meilleurs résultats, mais ils ne sauraient remplacer l’objectif final : la capacité des apprenants à analyser, faire, créer quelque chose dont ils n’étaient pas capable avant la formation. C’est la seule métrique sur laquelle nous devons nous concentrer, si nous ne voulons pas prendre le risque d’innover pour innover, sans résultats durables se ce n'est d'avoir déçu et épuisé enseignants, formateurs et apprenants. Un risque que notre système de formation ne peut plus prendre au regard des défis colossaux qui l’attendent.

RÉFÉRENCES

[1] OCDE (2015), Connectés pour apprendre ? Les élèves et les nouvelles technologies – Principaux résultats, PISA, OCDE, Paris.
[2] Bjork, Dunlosky et Kornell (2013), Self-Regulated Learning: Beliefs, Techniques, and Illusions, Annu. Rev. Psychol. 64:417–44.
[3] Roediger HL 3rd et Butler AC. (2011), The critical role of retrieval practice in long-term retention, Trends Cogn Sci. 2011 Jan;15(1):20-7.
[4] Taylor K., et Rohrer D. (2010), The Effects of Interleaved Practice, Appl. Cognit. Psychol. 24: 837–848.

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À propos de l'auteur

Son Thierry Ly

Son Thierry Ly est chercheur et entrepreneur. Il a conçu l’idée de la plateforme Didask et de sa méthode d’apprentissage à partir des travaux de la recherche en psychologie cognitive. Il enseigne et conduit des travaux de recherche sur les politiques éducatives à l’Ecole d’économie de Paris. Il a travaillé en tant qu’expert éducation pour France stratégie, un think tank public rattaché aux services du Premier Ministre, pour lequel il a rédigé le rapport « Quelle finalité pour quelle école ? ». Très engagé dans la lutte contre les inégalités scolaires, il a fondé et a dirigé pendant 8 ans les programmes de l’ENS Ulm en faveur de lycéens issus des milieux populaires, qui lui ont apporté une forte expérience en ingénierie pédagogique. Son Thierry Ly est ancien élève de l’ENS Ulm et titulaire d’un doctorat en économie de l’éducation de l’ENS Ulm.

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