La performance, ennemie de l’apprentissage ? Episode 1/2 : les buts de performance

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Vous avez mis en place une formation très interactive, qui propose de nombreuses mises en application, avec des feedbacks immédiats… Bref, une formation exemplaire selon les recommandations de la recherche. Mais j’ai une mauvaise nouvelle : en la faisant, la majorité des apprenants ne vont pas progresser autant qu’ils l’auraient pu. Pourquoi ? Parce que vous n’avez pas travaillé leur rapport à l’apprentissage c'est à cela que nous allons nous intéresser dans cette série de deux articles.

Un cas classique en formation : Thomas et Karen

Prenons l’exemple de Thomas et Karen. Tous les deux sont en formation et participent à un exercice avec les autres apprenants.

Karen sent l’adrénaline qui monte : tout en faisant l’exercice, elle surveille ses collègues pour voir ce qu’ils font (”Samia a déjà fini… elle est super forte !”) et se compare à eux au lieu de se concentrer totalement sur ce qu’elle fait. Pour éviter de se tromper, elle regarde discrètement le support de formation… même si la formatrice leur a demandé de ne pas le faire (”Dans la vraie vie, je ne vais pas faire exprès de ne pas le regarder !”). Malgré tout, Karen se trompe. Elle commence par se trouver une excuse (”Oups, je suis fatigué aujourd’hui… et puis les exercices de groupe c’est pas mon truc”), et quand la formatrice lui fera un retour, elle n’écoutera la correction que d’une oreille. Petit à petit, elle se désengagera de l’exercice, répondra un peu au hasard, et comme ça si elle se trompe, ce sera parce qu’elle “n’était pas à fond”.

Thomas lui a un comportement un peu différent. Après une expérience douloureuse à l’école, il est convaincu que la formation, ce n’est pas pour lui. D’ailleurs, il n’y va que s’il y est obligé ! Dès qu’il entre dans la salle, il se dévalorise (”c’est sûr : je ne vais pas y arriver et j’aurai l’air nul”, “ça n’a jamais été mon truc, je préfère apprendre sur le tas”). Quand l’exercice commence, il se met instinctivement en retrait et laisse les autres avancer. Après tout, à quoi bon ? Ils sauront mieux que lui, autant ne pas prendre le risque de se tromper !

Vous l’avez compris, même s’ils ont des comportements différents, Karen et Thomas ne tireront pas le meilleur des formations qui leur sont proposées. Ils poursuivent tous les deux ce que les chercheurs appellent des buts de performance et malheureusement ils ne sont pas les seuls. Peut être vous êtes-vous un peu reconnu dans l’un des deux personnages ? C’est tout à fait normal : les études montrent que dans la grande majorité, les apprenants ont des comportements similaires lorsqu’ils sont en train d’apprendre… qu’ils soient en formation présentielle ou seul devant leur écran !

Les buts de performance et leur impact sur la formation

Lorsque nous apprenons quelque chose, nous nous fixons des objectifs immédiats (regarder la vidéo en entier, terminer le module 1 aujourd’hui…) mais nous poursuivons aussi un but plus général. Ce but n’est pas toujours conscient et va déterminer notre comportement en formation. Ces buts d’apprentissage sont séparés par les chercheur·se·s en deux catégories.

La première d’entre elle recouvre les buts de performance. Lorsque l’on poursuit un but de performance, notre objectif est de dépasser une norme que l’on s’est fixée, généralement être le ou la meilleure de son groupe (comme Karen)… ou d’éviter d’être le pire (comme Thomas). Pendant l’apprentissage, si on poursuit de tels buts, on utilisera alors une partie de nos ressources cognitives (notre attention, notre mémoire) pour vérifier si l’on atteint cette norme : on analyse ce que l’on est en train de faire, ce que les autres font, on se compare… au lieu de mobiliser toutes nos ressources pour analyser et comprendre les éléments de la formations !

Ceux qui veulent éviter d’être les moins bons, comme Thomas, auront un niveau d’engagement si faible qu’ils apprendront effectivement peu : les informations de la formation seront traitées plus superficiellement. Mais on pourrait se dire que les apprenants qui comme Karen, veulent être les meilleurs seront très motivés et chercheront à se dépasser. Ce qui est vrai… jusqu’à ce qu’ils se trompent !

Lorsque l’erreur arrive, les choses se gâtent. Perçue non pas comme un événement naturel, incontournable lorsque l’on apprend, elle est perçue comme un échec (on est bel et bien en dessous de la norme que l’on veut dépasser) et un manque de compétence. La recherche montre que nous déployons alors différentes stratégies pour se protéger de cet échec. Au lieu de comprendre ce qu’il s’est passé et se corriger, on va commencer par se trouver des excuses pour protéger notre image de compétence. Les feedbacks et les corrections sont alors perçues comme des menaces et on va y prêter peu attention. Par la suite, on évitera les exercices (”pas besoin de les faire, j’ai déjà vu 2 fois la vidéo de la formation”) ou, si on ne peut y échapper, les accomplir en étant peu concentrés ou en cliquant au hasard. Dans ces conditions, si on se trompe, ce ne sera pas parce que “je ne savais pas”, mais parce que “je n’étais pas à mon maximum”. Autre phénomène constaté, on aura aussi tendance à tricher plus souvent pour diminuer les chances de se tromper. Et sachez qu’entre consulter un feedback personnalisé et son classement par rapport aux apprenants, une étude montre que l’on préfèrera regarder le deuxième, même si cela implique de se priver du premier !

Mais alors… que faire ?

Malheureusement, toutes les formations peuvent déclencher ces comportement de protection qui ont des conséquences négatives sur l’apprentissage. Mais retenez ceci : les formations les plus à risque sont paradoxalement les plus efficaces pédagogiquement, celles qui demandent à vos apprenants d’appliquer ce qu’ils savent, justement parce qu’ils auront plus de risque de faire des erreurs.

Est-ce qu’il faut revenir aux formations passives, composées d’une longue suite de vidéos à digérer ? Surtout pas, car l’enjeu n’est pas d’éviter aux apprenants de faire des erreurs mais de modifier le contexte dans lequel elles arrivent. Et là, le ou la formatrice a de nombreuses ressources à sa disposition pour le faire évoluer : changer la manière dont la formation est présentée, ajuster les feedbacks que l’on fait à ses apprenants… C’est en modifiant ces différents paramètres que vous pourrez amener petit à petit vos apprenants à poursuivre d’autres types de buts… les buts de progrès !

Et c’est justement de ces derniers dont je parlerai dans la deuxième partie de cet article !

Références

Un livre à lire absolument :

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À propos de l'auteur

Svetlana Meyer

Svetlana Meyer est la reponsable scientifique de Didask. Docteure en sciences cognitives, son rôle est d’intégrer les derniers résultats de la recherche sur l’apprentissage à notre produit pour améliorer l’efficacité des contenus créés sur Didask.

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