Les nudges ont-ils leur place dans les LMS ?

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Depuis les années 2010 et le best-seller Nudge de Thaler et Sunstein, les nudges ont connu un succès à la hauteur des ventes de ce livre. Que vous soyez RH, responsable Learning ou ingénieur·e pédagogique, vous avez sans doute entendu ce mot en passant. Un article scientifique récent vient sérieusement remettre leur efficacité en question. Qu’en penser et que faire si l’on est sur le terrain ?

Que sont les nudges ? Sont-ils vraiment efficaces ?

Les nudges, ce sont des changements subtils et peu coûteux dans les outils ou l’environnement qui incitent les utilisateur·rice·s à adopter certains comportements sans restreindre leurs choix ou leur offrir de contreparties matérielles. Les exemples classiques vont du sticker en forme de mouche collé dans les urinoirs pour diminuer les éclaboussures, aux passages piétons en fausse 3D pour inciter les automobilistes à ralentir, en passant par les lettres de rappels des administrations publiques qui décrivent les bonnes pratiques de vos co-citoyen·ne·s (”9 citoyen·ne·s sur 10 paient leurs impôts à temps”).

Du fait de leur simplicité et de leur faible coût, ils ont petit à petit trouvé leur place dans de nombreux domaines (santé, sécurité, finance personnelle, protection du climat, etc.) et notamment celui qui nous intéresse : la formation. Plusieurs chercheurs ont étudié l’impact des nudges qu’ils ont conçu pour leurs apprenants. On peut citer Clark et al.(2019) qui ont augmenté les taux de complétion d’une formation et les performances d’apprentissage en demandant aux apprenant·e·s de fixer leur propre objectif de complétion. Lin-Siegler et al. (2016) ont amélioré la motivation des étudiants et leurs notes en insérant dans leur formation des informations sur les difficultés rencontrées et les échecs de grands scientifiques.

Mais une étude récente vient sérieusement remettre en question ces résultats. Utilisant des méthodes statistiques sophistiquées, cette méta-analyse a montré qu’une grande partie de l’effet positif des nudges s’expliquait par le biais de publication. Autrement dit : les résultats positifs des nudges étaient en quelque sorte “gonflés” par l’effet de mode et sont en réalité bien plus modestes que pensé initialement. Des voix s’élèvent maintenant pour remettre fondamentalement les nudges en question : ce seraient des interventions au rabais, qui accaparent budgets et ressources au détriment d’intervention plus maximalistes… et plus efficaces.

Faut-il enterrer les nudges ? À quoi bon les intégrer dans nos LMS ?

Premièrement, il convient de rappeler que tous les nudges ne se valent pas. C’est d’ailleurs ce qu’observent les auteurs de la méta-analyse : il y a une grande hétérogénéité entre les études qu’ils ont analysées. Ainsi, certains nudges sont très performants (les mouches dans les urinoirs ont réduit de 80 % les interventions du personnel d’entretien dans les WC équipés) et d’autres bien moins (le nutri-score n’a pas encore prouvé sa capacité à orienter les consommateur·rice·s vers une alimentation plus saine).

Deuxièmement, les nudges n’auront pas la même efficacité selon leur nature et le contexte dans lequel ils sont déployés. Hansen et Jespersen séparent les nudges en 2 catégories :

  • Les nudges de type 1 s’appuient sur des comportements automatiques de l’utilisateur sans l’engager dans une réflexion consciente ou élaborée : le passage piéton en 3D en fait partie, car ils sollicitent notre prudence et nos réflexes. Un autre exemple pourrait être de commencer par défaut et automatiquement la nouvelle séance d’apprentissage de l’apprenant·e par la révision rapide d’un exercice qu’il a fait par le passé (au lieu d’attendre qu’il y aille de lui-même).
  • À l’inverse, les nudges de type 2 comme le nutri-score ou la définition d’un objectif de complétion, eux s’appuient sur des tendances naturelles de l’être humain (la désirabilité sociale par exemple) pour les engager dans une réflexion consciente et délibérée (par exemple : payer ses impôts après avoir lu que 9 citoyen·ne·s sur 10 les paient à temps).

(Les types 1 et type 2 font référence aux systèmes 1 et système 2 de prise de décision, popularisés par Kahneman, dont je vous invite à lire l’ouvrage ainsi que Noise plus récemment). Ces deux types ont chacun des avantages et des inconvénients.

Quels nudges utiliser dans votre LMS ?

Les LMS peuvent intégrer des nudges (même si souvent, ils ne sont pas nommés comme tels !) et il est donc important de regarder soigneusement ses fonctionnalités pour voir ce qu’il est possible de faire.

Les nudges 1 sont particulièrement adaptés aux contextes où l’apprenant est en surcharge cognitive (c'est-à-dire où il doit traiter de nombreuses informations en même temps). Par exemple, certains LMS proposent des modules de révisions personnalisées qui sont automatiquement générés et proposés à l’apprenant quand il revient sur sa formation : l’avantage est qu’il n’a pas à faire d’effort pour réviser ce qu’il a déjà vu. Mais son effet est contextuel : si vous enlevez ce module, il est peu probable que les apprenants continuent de réviser par eux même les contenus déjà vus.

Les nudges de type 2 induisent petit à petit des changements durables de comportement, susceptible de perdurer si le nudge venait à être supprimé. Par exemple, des messages qui dédramatisent l’erreur quand l’apprenant se trompe a un effet immédiat (l’émotion négative ressentie suite à l’erreur diminue) et aussi à plus long terme : l’apprenant n’interprète plus l’erreur comme la marque d’un échec, mais d’un apprentissage en cours. En revanche, ils demandent que l’apprenant ait des ressources cognitives disponibles pour le traiter : au calme, en train de lire une lettre, ça fonctionne, mais dans un exercice sous contrainte de temps, il est peu probable que les apprenants y prêtent attention ! Il est donc important que le LMS que vous choisissiez ne surcharge pas l’apprenant d’informations pour préserver les ressources cognitives de vos apprenants.

Dans l’idéal, utilisez des nudges dont l’efficacité a été testée en situation réelle. Cet article scientifique en décrit plusieurs, spécifiquement utile pour la formation. Si vous devez créer votre propre nudge, regardez bien ces 2 paramètres :

  • Le contexte de votre formation : au moment où vous souhaitez déployer votre nudge, vos apprenants ont-ils beaucoup d’informations à traiter en parallèle ?
  • Si oui, évitez les nudges de type 2 comme Les 10% des vendeurs les plus performants de notre entreprise ont fait cette formation : si vos apprenants arrivent sur votre LMS car ils reçoivent 1 invitation par semaine, que leur page d’accueil est encombrée de dizaines de formations, il est peu probable qu’ils remarquent ce nudge. À la place, privilégiez les nudges de type 1, plus simples, comme l’accentuation de la mise en valeur visuelle de la formation que vous souhaitez pousser (et la mise en retrait des autres formations).
  • De votre objectif : est-ce que vous voulez modifier le comportement durable de vos apprenants ?
  • Si oui, allez vers les nudges de type 2. Exemple : les apprenants ne regardent les vidéos qu’une fois, quel que soit leur niveau de compréhension des éléments qui leur ont été présentés. Un simple prompt en amont de la vidéo “Lorsque vous ne comprenez pas un élément de la vidéo, mettez la en pause ou revoyez le passage concerné.” a modifié positivement le comportement des utilisateurs.

Voilà, on espère que ce rapide tour d’horizon des nudges vous aura inspiré ! Si vous décidez de vous lancer dans l’aventure du nudge, on ne peut que vous recommander l’approche DIagnostiquer, Tester, Adapter décrite dans l’article sur les nudges de nos partenaires, les chercheurs de l’agence Cog’X pour vérifier que vous allez dans la bonne direction. À vous de jouer et de révéler les pouvoirs du nudge !

Ressources pour aller plus loin :

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À propos de l'auteur

Svetlana Meyer

Svetlana Meyer est la reponsable scientifique de Didask. Docteure en sciences cognitives, son rôle est d’intégrer les derniers résultats de la recherche sur l’apprentissage à notre produit pour améliorer l’efficacité des contenus créés sur Didask.

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